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Il était une fois LLG ... Frédéric Beigbeder

Il était une fois LLG...

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31/10/2025

Interview de Frédéric Beigbeder (LLG 1981) par Aïna Adlerberg Douady, doctorante en sciences politiques à Université Paris Cité (LLG 2012)


Avant de devenir écrivain, journaliste, scénariste et réalisateur de cinéma, Frédéric Beigbeder fut élève de la seconde à la terminale au Lycée Louis-Le-Grand (LLG 1981). Voici l’expérience qui fut la sienne.


« La discipline ! C’est cela que j’ai appris, cette capacité de travail. On a un devoir à rendre, on le fait. C’est quelque chose de très précieux »


1. En trois mots, l’expérience à Louis-le-Grand (LLG) :

En trois mots ?! C’est bizarre, j’ai un souvenir de traverser la Sorbonne. Je trouvais cela extraordinaire d’être en face de la Sorbonne. Alors je dirais, en trois mots … Tiens j’ai une idée : 


RUE - SAINT - JACQUES 


Les trois mots que m’évoque Louis-Le-Grand.


2. La décision de postuler à Louis-le-Grand :

J’avais plutôt de bons résultats. J’étais au lycée Montaigne. C’était quasiment automatique, on vous proposait souvent soit Henri IV, soit Louis-Le-Grand quand vous aviez des bonnes notes en classe de troisième à Montaigne. C’était un peu la suite logique de Montaigne d’aller dans un des deux lycées prestigieux du Ve arrondissement. J’avais été pris à LLG, mon frère y était déjà, avant moi. C’était donc un peu la filière naturelle dans la famille. On faisait Montaigne, puis LLG à partir de la seconde. 


3. Les premières fois à Louis-le-Grand, les premiers étonnements :

Le souvenir que j’ai est que mon lycée à Montaigne était assez … Comment est-ce que je peux expliquer cela … c’était assez dissipé. On avait une impression de liberté. C’est un lycée qui se trouve en face du jardin du Luxembourg, rue Auguste Comte. On passait donc notre vie au jardin du Luxembourg. Il y avait des booms. C’était beaucoup moins stricte que LLG. Quand je suis arrivé, les premiers jours à LLG étaient assez durs. Les élèves étaient tous de très très bons élèves, recrutés dans toute la France. Le niveau était nettement plus élevé qu’à Montaigne. J’étais un peu déprimé par le fait que tout le monde travaillait. Les gens pensaient un peu moins à rigoler, et étaient très concentrés sur leurs études. 


4. Les graines semées par Louis-le-Grand qui ont germé : 

Je ne sais pas si c’est toujours le cas, mais à l’époque, on nous orientait automatiquement vers le baccalauréat scientifique quand on avait des bonnes notes. C’est un peu comme si on obligeait aujourd’hui tous les élèves à faire S. Je ne sais pas si c’est toujours comme ça, mais de mon temps, cela s’appelait C. Et donc on m’avait un peu obligé à faire une seconde C, une première C et une terminale C. Alors que moi, je n’aimais que les matières littéraires : le français, l’histoire, la géographie, la philosophie. J’ai eu l'impression que je n’étais pas vraiment à ma place. Donc, ce n’est pas un très bon souvenir ces trois années que j’ai passées à LLG. Mais, si je dois dire ce qui a germé comme graine, c’est sûrement le goût du travail. J’ai appris justement à bachoter, à travailler, à préparer un examen, à organiser mes révisions. Comme tous les élèves étaient un peu comme ça, j’ai appris à prendre des notes, à aller vite. La discipline ! Ce n’était pas un établissement disciplinaire du tout, mais c’était un établissement où les élèves travaillaient pas mal. Il n’y avait pas beaucoup de glandeurs. Alors qu’il y en avait plein à Montaigne ! Je suis arrivé dans cet univers-là, que je n’ai pas trop aimé. Mais aujourd’hui si j’y repense, quarante après, ce que j’ai retenu c’est ça. Par exemple, aujourd’hui je suis journaliste. Quand j’ai un article à rendre, il m’arrive de penser à LLG ou à mes études supérieures, en me disant : “j’ai un travail à faire. Je laisse tout tomber et je fais mon boulot”. Je m’y mets. C’est cela que j’ai appris, cette capacité de travail. On a un devoir à rendre, on le fait. Mais c’est très précieux. Cela semble une banalité, mais c’est assez précieux parce que je vois beaucoup de gens qui n’ont pas appris ça et n’arrivent pas à se concentrer quand ils ont quelque chose à faire. Ils n’y arrivent pas. Moi, si vous me dites “vous devez faire ça pour demain midi”, je vais travailler cette nuit. Cela ne me dérange pas. Je pense que cela date vraiment de LLG. 


5. Le plus beau souvenir à Louis-le-Grand :

Même si on était assez sérieux, il y avait des moments où justement on aimait bien perdre du temps dans les cafés. Alors, on allait beaucoup jouer au flipper ou aux jeux vidéo dans les cafés qui sont devant la Sorbonne, sur la place. J’ai de beaux souvenirs. Ce sont des souvenirs d’adolescent avec les copains et des copines aussi, où on allait traîner dans les cafés. J’étais mineur, un jeune adolescent, mais j’avais l’impression d’être un peu comme un adulte. On se prenait pour des étudiants, alors qu’on n’avait même pas notre bac. J’aime bien l’ambiance du Quartier Latin. À l’époque, il y avait cette librairie les Presses Universitaires de France (PUF) qui était sur la place de la Sorbonne. Il y avait plein de cafés. C’était la naissance des jeux vidéo, comme Pac-Man, Asteroids, ou un autre qui s’appelait Space Invaders. Tous ces jeux d’arcades étaient les ancêtres des jeux vidéo que l’on connaît aujourd’hui, qui en sont maintenant des versions miniatures. Là, c’était sur des grosses machines. Et alors, on y mettait des pièces de cinq francs, et on jouait au Pac-Man pendant des heures, et des heures, avec plein de très bons élèves. On était devenus fous ! On avait une folie avec les jeux vidéo, et toutes nos économies passaient là-dedans. C’était très drôle ! Je ne sais pas pourquoi mais c’est cela qui me revient comme un bon souvenir. Je suis un peu nostalgique de cette période, où je traînais. Je devais avoir quinze-seize ans, et je traînais dans les cafés, avec une bande d’amis. C'étaient presque les débuts de ma vie sociale. Ensuite, je suis devenu un grand noctambule, mais là c’était la journée. 

 

6. Les rencontres marquantes de Louis-le-Grand :

Bizarrement, je n'ai pas beaucoup gardé d’amis de LLG. Si, j’avais quelques amis avec qui… comment dire, j’étais aussi à l’étude après les cours, où on travaillait beaucoup. Il y en avait quelques-uns. On s’écrit parfois des messages sur les réseaux sociaux. Alors, j’ai un souvenir marquant de profs. C’était un prof d’histoire qui s’appelait Olivier Clément, qui était très brillant et très bon professeur. Il y avait aussi, il me semble, un prof de philo, mais je ne sais plus son nom, qui nous faisait étudier des phrases parfois un peu étranges. Par exemple “c’est bien plus beau lorsque c’est inutile” qui est un vers d’Edmond Rostand, dans Cyrano de Bergerac. C’était assez provocateur d’étudier une phrase comme cela dans un lycée qui est très prestigieux, où tout le monde essayait de rentabiliser ses révisions. Comme je me sentais plus littéraire que matheux, j’aimais les professeurs de ces matières-là. Je me souviens que la prof de maths s’appelait Madame Minois, et elle était très dure. Notamment pour quelqu’un comme moi qui était nul en maths, elle était très méprisante avec les mauvais. 


7. L'excellence des professeurs : 

Comme j’étais un cancre, j’ai eu mon bac C de justesse mention Assez Bien, ou même pas, Passable. Je ne sais plus, je n’étais pas dans la course. J’ai vite décroché dans les matières scientifiques, c’est-à-dire les maths et la physique. Ce n’était pas très joyeux. Je n’ai pas pu constater l’excellence des professeurs. En revanche, j’ai constaté l’excellence de certains élèves. J’étais très admiratif de certains élèves qui pouvaient résoudre des équations en très peu de temps. Je me souviens d’un élève. C’est un souvenir qui me revient en vous parlant. Il arrivait à résoudre le Rubik's cube en quelques secondes. C’était plus le fait d’avoir côtoyé des élèves, dont certains, étaient vraiment officiellement diagnostiqués comme surdoués. C'étaient des vrais surdoués ! Certains élèves étaient presque meilleurs que les profs. Le prof expliquait quelque chose, et l'élève trouvait une solution plus rapide. C’était fou ! Je me souviens de choses vraiment dingues ! Et ce Rubik’s cube est sorti à ce moment-là quand j’étais à LLG. Il avait été inventé à cette époque. C’est un truc impossible à résoudre par un être humain normal, comme moi. Je n’y arrivais jamais, je n’arrivais même pas à faire une seule face. Alors, il y avait un gars dans ma classe. Donc, vous preniez le Rubik’s cube, et vous le dérégliez comme cela. On dérangeait le Rubik’s cube, pour qu’il soit le plus difficile à remettre. Alors, lui, il le prenait et il faisait quatre mouvements, cinq mouvements, pam-pam-pam, et il le remettait normal ! C’était incroyable ! J’avais l’impression d’être le vilain petit canard dans une classe de surdoués. C’est ça mon souvenir de LLG !


8. La méritocratie à la française : 

C’est bien quand même. Moi, je suis pour. Je suis pour qu’il y ait des institutions d’élites, comme il y a des grandes écoles. Il y a des lieux où l’esprit brille. Je trouve que c’est bien. Je pense que malheureusement j’avais été mal orienté. J’aurai dû peut-être aller à Henri IV. Je pense que je me serais sûrement davantage épanoui à Henri IV dans une classe littéraire. Je pense qu’il y a eu une erreur d’aiguillage. Mais ce n’est pas grave, j’ai quand même fait ma carrière d’écrivain. Finalement tout s'est bien terminé. Oui, je suis pour qu’il y ait des lycées de prestige. C’est une très bonne chose. D’ailleurs, je continue de défendre des institutions très élitistes comme l’Académie française par exemple. Je pense que c’est bien que symboliquement ces endroits-là existent. 


9. Les messages aux élèves actuellement à Louis-le-Grand :

Je suis très curieux de savoir comment cela a évolué. Est-ce que c’est toujours un endroit un peu dur à supporter pour les dilettantes ? Est-ce que c’est un endroit qui s’est décoincé un peu ? De mon temps, les garçons et les filles se regardaient un peu de loin sans vraiment se rapprocher. C’était très étrange. Quand je suis arrivé à LLG, je crois que c’était mixte depuis très peu de temps. Je ne sais pas en quelle année c’est devenu mixte. Ce serait intéressant de savoir. Je crois que c’était un lycée de garçons d’abord. Il y avait des filles, elles étaient dans leur coin, assez timides. Dans mon souvenir, il n’y avait pas les soirées comme à Montaigne. C’était très étrange de passer d’un lycée assez festif à un lycée très bachoteur, sérieux, un peu coincé. J’espère qu’aujourd’hui LLG a changé et qu’il n’est plus cet endroit, dans mon souvenir, un peu froid. Je sais que l’idée est de préparer aux classes préparatoires, qui elles-mêmes préparent aux grandes écoles, qui elles-mêmes sont très très difficiles, donc on habitue les élèves à une sorte de rigueur qui est forcément un effort. Est-ce conciliable avec un peu de légèreté, de l'oisiveté ? Il ne faut pas non plus passer à côté de son enfance, ou de son adolescence. Ce qui s’est passé, comme j'étais à LLG, peut-être que c’est à cause de cela que j’ai voulu rattraper mon adolescence ensuite pendant les quarante années suivantes !


  • Les attentes vis-à-vis de l’association des anciens élèves : 

J’ai un retour nostalgique. Peut-être que je vais croiser des gens que j’ai connus là-bas, des retrouvailles. J’y vais avec les attentes, le cœur battant d’un jeune élève qui n’a pas vu grand monde de Louis-Le-Grand depuis quarante ans.

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